Charlottever

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La geisha

 

On lui avait dit, toute petite déjà qu'elle servirait l'homme ou plutôt qu'elle le charmerait. Elle avait alors trois ans et trois jours et n'avait pas compris le sens de cette phrase. Ses parents, pauvres villageois s'étaient résolus à la vendre pour une bouchée de pain.

On l'avait donc confiée à une Okiya (maison de Geishas) afin qu'on puisse lui enseigner les arts. Elle avait beaucoup pleuré mais les maikos (apprenties geishas) et les Geikos (geishas) avaient su lui donner de l'affection.

Dès son plus jeune âge, elle attira l'attention. Elle semblait habitée par la grâce. Ses gestes étaient élégants, son phrasé parfait. Elle avait la voix d'un rossignol lorsqu'elle chantait.L'apprentissage de la musique et de la danse semblait être un jeu pour elle. Le bruit courait jalousement : elle avait un don! Et pourtant, quand on parlait d'elle on utilisait volontiers les termes de “papillon” ou de  “fleur toujours délicate”.

Elle aimait ce qu'on lui enseignait et s'appliquait toujours. Elle semblait n'être jamais fatiguée. Petit bout de chou qui apprend sans comprendre qu'elle devra briller entre toutes pour ne pas être exploitée. Si, son aura dépasse de loin celle des autres créatures, le monde se prosternera devant elle!

Mineko grandissait. Vint alors le temps où elle dût choisir une grande soeur. Il s'en suivit une cérémonie la liant à sa “Oneesan”(grande soeur). Celle-ci avait été particulièrement émouvante. Elle dût choisir un prénom de geisha et ce fût  Aihaneko. Au revoir Mineko!
Elle habitait bien entendu la même okiya (maison)que Aihara, sa grande soeur. Une maison prestigieuse et riche au coeur de Kyoto dans le quartier de Gion. La vie y était douce malgré  les heures passées à étudier. Les tâches ménagères étaient nombreuses. Elles incombaient aux plus jeunes.
Au sixième jour du sixième mois de ses six ans, elle commença à jouer du shamisen, de la flûte et autres tambours.Elle avait l'oreille absolue et pouvait rejouer d'instinct ce qu'elle venait d'entendre. On n'avait pas vu semblable petite merveille depuis plus d'un siècle.

Il lui fallut apprendre aussi à servir le thé (chanoya), à composer des bouquets (ikebana). Ce fut beaucoup moins drôle et surtout, elle n'en voyait pas l'intérêt. Comment comprendre en effet que servir le thé est extrêmement séduisant quand on a dix ans? Dévoiler à peine ses poignets… Elle comprendrait bien assez tôt!…

En revanche, elle apprit avec joie la poésie et la littérature.

Les années passèrent…
Elle n'aurait pu espérer un enseignement aussi complet si elle était restée dans son village. C'est ce que lui répétaient sans cesse les habitants de la maison.

Elle dansait maintenant, virevoltait, avait tant de grâce que déjà son nom était sur toutes les lèvres. Elle excellait particulièrement dans la danse, aussi son Onesan l'encouragea t'elle à se perfectionner. Les hommes aimaient davantage les geishas qui pratiquaient l'art de la danse que celles qui faisaient de la musique.

Elle apprenait vite ce qui enchantaient sa grande soeur et son Okiya. Elle rapporterait très vite de l'argent. Les clients se l'arracheraient!

Elle était maintenant en âge d'accompagner  Aihara à ses différentes soirées. Elle connaissait déjà les différents jeux essentiels dans l'art de divertir les clients. Le pouvoir qu'elle exerçait sur les hommes la ravissait et l'apeurait tout autant! Elle comprenait maintenant que son éducation n'avait eu pour unique but que de servir la gente masculine. Et se sentir ainsi désirée était pour elle l'accomplissement de toutes ces années de labeur. Elle allait être riche et adulée. La nature l'avait comblée, elle était devenue une geisha accomplie! Elle était magnifique!

Le jour, elle suivait les cours, le soir elle accompagnait sa grande soeur dans les différentes soirées. Il s'agissait de connaitre au plus vite les bonnes adresses et surtout d'attirer le regard. On l'amena dans les  meilleures maisons de thé, chez les  perruquiers,on la présenta aux chefs des plus grands restaurants. Puis, elle rencontra les clients  et les protecteurs de Aihara. Il lui faudrait elle aussi trouver un protecteur afin de pouvoir régler les dettes contractées par l'achat de ses vêtements et autres atours essentiels à toute geisha.

Les Kimonos constituaient en effet l'essentiel de la garde-robe! Leur valeur pouvait atteindre des sommets!

Aihaneko espérait pouvoir acheter les plus belles parures car elle était très coquette.  Au dessous, le motif de la combinaison devait être semblable à celui du kimono. S'il en était autrement, il s'agissait alors d'une énorme faute de goût!  Chaque jour, elle aurait à coudre un nouveau col de soie sur sa combinaison. Dans le dos, une ceinture, appelée obi qui pouvait mesurer jusqu'à 3,5 m de long sur 50cm de large. Le noeud du obi d'une geisha contrairement à celui d'une prostituée était toujours dans le dos. Il devait être parfait! Elle usait de coloris chatoyants, sa jeunesse le lui permettait!

Le plus difficile croyait elle était d'apprendre à dormir sur un takamakura, petit tabouret de bois rembourré afin de ne pas abimer sa coiffure. Il s'agissait d'un chignon en forme de pêche fendue nommé aussi wareshinobu. Une telle coiffure se doit de tenir une semaine entière!

Mais, il y eut pire encore: apprendre à marcher avec des okobos, hautes chaussures pointues en bois laqué!

Le portrait ne serait pas complet si l'on oubliait de parler du maquillage! Là encore, c'était tout un art. Un bâtonnet de paulownia pour dessiner les sourcils, une crème jaune pâle pour le visage à base de déjection de rossignol, un morceau de cire appliqué sur le visage, le cou et la poitrine et des pigments rouges pour les joues, pour les lèvres(uniquement la lèvre inférieure pour qu'elle paraisse plus pulpeuse). Elle passait un temps fou à être parfaite enfin à être telle une parfaite geisha! La décoration de la nuque était elle aussi très importante car considérée comme très érotique. Le décolleté du kimono était donc dans le dos.

Tout cela, Aihaneko l'avait appris au fil des jours. Il s'agissait d'un travail harassant mais dont elle serait peut-être récompensée un jour.

Ce qui devait arriver arriva enfin! Plusieurs hommes se proposèrent d'être son protecteur. Mais Aihaneko était fière et ambitieuse. Elle ne souhaitait pas céder au premier client qu'elle rencontrerait. Ils venaient de fort loin pourtant afin de découvrir cette perle rare dont tout le monde parlait.

Alors que sa grande soeur s'impatientait et souhaitait qu'elle choisisse un homme capable de régler ses dettes au plus vite, Aihaneko fut un soir troublée par la présence d'un homme qu'elle voyait pour la toute première fois. Il était vêtu comme un prince. Ses yeux étaient rieurs mais si l'on y regardait de plus près, on pouvait y lire la tristesse et l'ennui. Il appartenait à une très riche famille et venait de perdre son père. Il se retrouvait par conséquent à la tête d'un véritable empire. Il venait donc s'amuser ici auprès de ces délicates petites fleurs!

Il fut subjugué par Aihaneko dès la première danse. Lorsqu'elle joua un air ancien de shamisen, il laissa même couler une larme. Il venait sans conteste de tomber amoureux!

Elle n'était pas insensible aux charmes du jeune homme et c'est ainsi qu'elle s'offrit pour la toute première fois. Son coeur battait la chamade, son corps en demandait encore. Il devint son danna. Elle restait cependant discrète, sa réputation et son aisance financière étaient en jeu. Elle se contentait de divertir les autres hommes dans les différentes soirées mais n'acceptait pas d'avantage.

Au bout de quelques mois,  son danna voulut s'engager et fit une proposition. Elle accepta cet arrangement avec plaisir. Il régla toutes les dettes de Aihaneko. Il remboursa son Okiya et ses frais quotidiens. Il lui offrait de splendides kimonos, des bijoux…et continuait cependant à régler au quotidien les moments passés avec elle. Un bâtonnet d'encens était allumé dès son arrivée. Il se consumait en une heure. Les honoraires se calculaient ainsi, en nombre de bâton d'encens consumés.

Aihaneko savourait les moments passés avec son danna car l'amour s'était glissé en son coeur.

 

Les années passaient et Aihaneko était toujour très demandée Les hommes se vantaient toujours d'avoir passé une soirée en sa présence. Elle était si belle qu'aucun d'eux ne se serait permis de lui manquer de respect.

Cependant, Aihaneko avait toujours pensé qu'elle s'échapperait de cet endroit. Contrairement aux autres geishas qui s'accordaient à dire que les sentiments ne sont qu' illusion, elle était tombée amoureuse et souhaitait se consacrer toute entière à son danna. N'y tenant plus, un beau matin de printemps, elle s'en ouvrit à lui.

Il la dévisagea… Un long silence s'en suivit… Il se leva, la regarda une dernière fois avant de lui dire:

“Tu n'as alors rien compris, tu es une geisha qui donne du plaisir aux hommes”.

Il franchit alors la porte de la maison de thé sans même lui dire au revoir.

Elle resta là, incrédule et attendit vainement son retour des jours durant.

Sa grande soeur la poussa à réagir. Elle lui dit qu'elle pouvait devenir la geisha la plus célèbre du Japon si elle le désirait. Tous les hommes la demandaient. Elle avait gagné le respect de tous tant par sa beauté que par son art.Le plus important n'était il pas d'être vénérée telle une princesse afin d'obtenir tout ce qu'elle souhaitait?

Aihaneko la regarda, tout d'abord incrédule puis se dit qu'elle leur ferait payer au centuple les douleurs de son coeur. Elle mépriserait les hommes et ils seraient tous à ses pieds! Elle refusait de se laisser aller. Tant de travail pour si peu de reconnaissance! Elle allait se servir de tout ce qu'elle avait appris.Plus jamais elle ne tomberait sous le charme d'un homme! Plus jamais elle ne laisserait son coeur s'emballer.

Durant les vingt années que durèrent son règne, le mot employé n'est pas trop fort, Aihaneko sût commander aux hommes. Elle acheta sa liberté à presque quarante cinq ans. Ses charmes opéraient encore. Elle retourna vivre à la campagne, près de ses parents. Bien-sûr, elle se fit construire une jolie maison. Elle se faisait très discrète et ne sortait que très rarement.

Elle pratiquait toujours la danse et la musique. Elle donnait parfois des cours aux enfants.Seule le soir, elle lisait énormément…de la littérature plus “actuelle”. Parfois, elle soupirait en pensant à toutes ses années passées sans son danna. Qu'était-il devenu? C'est une question qu'elle se posait encore parfois.

Elle prit un plaisir tout particulier à jardiner. La délicatesse des fleurs l'émouvait. Elle pouvait rester des heures à écouter les oiseaux chanter.

C'était une vie paisible. Elle n'avait plus à plaire!

Elle continuait cependant à se maquiller, à se vêtir très élégamment! Je vous l'ai dit, elle était très coquette!

Elle vécut là une trentaine d'années avant de s'éteindre telle une bougie le premier jour du printemps.

On raconte qu'aujourd'hui encore, les hommes passent devant sa maison, en espérant apercevoir son fantôme.

Sa beauté est restée intacte dans les mémoires. Aux nouvelles geishas on enseigne l'histoire de Minéko comme la réussite suprême!

Sa vie est devenue une légende.

On oublie juste de dire qu'un jour elle rencontra l'homme de sa vie, qu'il lui fit mal et que pour se venger elle ne céda plus jamais à aucun autre. Son coeur était devenu comme la pierre. Ses larmes avaient déserté son doux visage, ses sourires étaient des masques. Elle n'avait fait que jouer un rôle parce qu'elle était fière! C'est sûrement ce qui l'a maintenue en vie aussi. Car quand on aime à la folie et que tout cet amour qui déborde n'est pas partagé…on a envie de mourir…

 



01/05/2013
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