Charlottever

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Le clown

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Il était là, au milieu de la piste.

Mais à cet instant, cela n'avait aucun sens.

Il était là, le clown triste,

Et on ne voyait aucune différence.

Comme tous les soirs,

Il s'était assis devant son miroir.

De sa main gauche, il avait d'abord blanchi son visage,

Puis, de l'autre, il avait dessiné d'un geste précis,

Deux grands yeux noirs qui lui donnaient un drôle de regard.

Il avait fixé un nez rouge au centre de son expression.

Une chevelure rousse improbable et des chaussures de sept lieues,

Donnaient au tableau un air insolite et facétieux.

Il avait revêtu un pantalon trop court, trop large, difforme,

Retenu par de gigantesques bretelles hors normes.

Il n'avait pas d'autre accessoire, ses mimes racontaient si bien les histoires.

Avant chaque représentation, il observait lentement cet accoutrement,

Puis, regardait tout au fond de lui, jusqu'à retrouver l'enfant qu'il avait toujours été.

Lorsque celui-ci était à ses côtés, il savait qu'il était prêt.

Il se jetait alors dans la fosse, avec un plaisir non dissimulé.

Un petit noeud à l'estomac, au cas où ils ne riraient pas.

Il donnait tout ce qu'il avait pour faire de ce moment,

Un inénarrable divertissement.

Il ne voulait pas ressembler au Clown Blanc, trop autoritaire.

Encore moins à l'Auguste qui toujours exagère.

Il se rappelait Pipo, Zippo, les Fratellini,

D'autres Clowns sauteurs, acrobates, des caricatures…

Il s'était juré de faire ce métier différemment.

L'artiste mimait donc avec une immense tendresse les instants de vie.

Le pouvoir de ses gestes semblait infini.

On voyait les enfants tour à tour béats, surpris, étourdis et enfin ravis.

Les parents essuyaient délicatement la petite larme, échappée de leur coeur,

Au moment où apparaissaient sous leurs yeux les ” flashback ” du bonheur.

La représentation était toujours trop éphémère à leur goût,

Les rappels incessants, les cris, debout…

La joie de l'artiste, immense…

Mais ce soir, cela n'avait plus aucun sens.

Le clown venait de perdre sa magie.

Le petit garçon qui sommeillait encore en lui,

Avait pris la poudre d'escampette.

Il avait appris le matin même sa longue agonie.

Il était malade, les médecins étaient formels.

Sa mémoire allait vaciller, les souvenirs viendraient à manquer.

Il n'accepterait jamais la médiocrité.

C'est pourquoi, ce soir était son dernier jour de gloire.

Sans rien laisser paraître, cocasse, impayable, insolite,

Il avait enchanté chacun dans un dernier tour de piste.

Il n'avait qu'un seul regret,

Celui de n'avoir jamais pris le temps de se choisir un nom.

Monsieur Loyal le présentait toujours de belles manières,

- “Le clown le plus spirituel,

Le plus surprenant,

Le plus divertissant,

Le plus émouvant…”

- “Un nom vous permet de rester éternel,

Un nom, c'est un visage qui apparaît,

Un nom, et de mes spectacles vous vous souviendrez…”

Et cela lui fit mal, si mal que lorsqu'il rentra dans sa roulotte,

Ce fut pour ne plus jamais en ressortir.



10/11/2014
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